Retour à la nature de tortues radiées (Astrochelys radiata) : relâché expérimental et projet d’alliance avec les communautés.

Un besoin pour la préservation de l’espèce

La tortue radiée figure parmi les espèces emblématiques de l'île de Madagascar, c’est l'une des espèces de reptiles les plus menacées dans le monde. Elle est, à ce titre, considérée en état critique d'extinction (CE) par l'UICN et bénéficie d’un statut de protection important au niveau international (Annexe 1 CITES). Si la dégradation des habitats a largement participé au déclin de la tortue radiée, le braconnage est aujourd'hui principalement responsable de sa disparition dans la nature. La situation est particulièrement urgente. Les autorités malgaches sont sur leur garde et multiplient les arrestations et les saisies.

Chaque année, des tortues destinées au commerce illégales sont rescapées et sont confiées aux différents centres de recueil et de réhabilitation dont le village des tortue, premier centre de recueil à avoir été créé à Madagascar et géré par les associations SOPTOM et ASE. Cette situation a atteint un point culminant en 2018 quand près de 18.000 tortues ont été saisies. Il est aujourd'hui essentiel de trouver une solution durable pour ces tortues. Depuis, chaque année, plusieurs centaines d’individus sont encore saisies. Sans perspective d’être relâchés dans la nature, ces tortues sous vouées à être enfermées toute leur vie et être en proies à des maladies (épizooties), vols que ce soit dans ce village ou d'autres centres de recueil, les capacités d'accueil atteignant leur point extrême. Trouver une solution plus durable pour ces tortues est primordiale.

L’ensemble des acteurs de la conservation des chéloniens malgaches s’accordent sur l'importance d'impliquer les communautés locales et de dresser une stratégie de transition des tortues saisies (issues du commerce illégal) dans les zones où l’espèce était abondante. Construit avec les autorités malgaches, ce projet de réhabilitation des tortues radiées dans la nature doit non seulement répondre à un besoin pratique (les capacités d’accueil ex-situ ne sont pas illimités) mais surtout à un besoin plus fondamental de préservation des populations dans la nature.

Préserver l’espèce tout en favorisant la résilience de l’écosystème et des populations

Si ce projet se focalise autour d’une seule espèce, la résilience de l’ensemble de l’écosystème et des communautés locales aujourd’hui en sursis en raison du réchauffement climatique est au cœur de ce projet. L'espèce est inféodée à la forêt épineuse semi-aride présente au sud-est de l'île (à l’origine représente une surface totale de 44.300 km² soit 7,5% de la surface du pays) qui abrite le plus fort taux de plantes endémiques du pays. Cet écosystème subit de nombreuses pressions anthropiques comme le surpâturage ou la collecte de bois. De même que pour les écosystèmes secondaires (qui inclus également des zones cultivées), ces habitats de zone aride ou semi-aride sont parmi les habitats les plus sensible, en étant soumis notamment aux processus de désertification. La disparition et les déclins des tortues terrestres de la région est symptomatique des menaces sui pèse les espèces et les écosystèmes. Indiscutablement, la capacité des écosystèmes de résister au changement climatique ou de se régénérer à la suite de perturbations dépend de la biodiversité à multiples échelles.

Les tortues radiées favorisent la dissémination des graines de plantes et arbustes qu’elles ingèrent. Principale espèce d’herbivore sauvage, cette espèce joue un rôle clé dans l’écosystème. Restaurer ses populations c’est donc également participer à la restauration de son écosystème. Améliorer le statut de conservation de la tortue radiée revient également à s’impliquer dans la protection de son habitat de prédilection qui est celui de la forêt semi-aride épineuse. Aussi, la stratégie de sensibilisation qui sera menée autour de cette espèce que l’on peut considérer comme parapluie pourra permettre aux populations de mieux s’imprégner de l’enjeu de conservation de cet écosystème qui leur est bénéfique pour leur subsistance.

Dans la continuité d’un premier projet expérimental fructueux

Des actions de réhabilitation et de translocation des tortues dans la nature peuvent être un moyen efficace de renforcer les populations qui ont été décimées. Plus largement, les projets de réintroduction ou de renforcement des espèces menacées constituent l'un des outils de conservation les plus utilisés. Mais, ce sont aussi des opérations délicates à mener, la survie des animaux relâchés et l’acceptabilité des différents acteurs n’étant pas forcément garantie. Mener ce type d’opération, notamment dans un contexte économique local particulièrement bas et fragile, nécessite d’avancer pas à pas. Il s’agit notamment en premier lieu de déterminer le ou les sites pouvant accueillir de façon durable de nouveaux individus sans les mettre en péril (braconnage). De plus, avant que de telles actions soient généralisées, il est essentiel de connaitre leur efficacité et de fournir des lignes directrices méthodologiques.

Un premier projet expérimental de réhabilitation dans la nature de centaines d’individus a pu d’ores et déjà voir le jour. A travers un travail de concertation avec les communautés et instances locales, les tortues ont fait l’objet d’une surveillance et de suivi scientifique permettant d’évaluer le succès de l’opération. Plusieurs dizaines de tortues ont été radiopistées. Près de 1,5 ans après leur relâché, toutes les tortues ont survécu, attestant du succès de cette première opération. La communauté a largement été impliquée dans le projet et un lien positif a été retrouvé entre les habitants et la tortue radiée.

Mais, les efforts doivent se poursuivre. La réalisation d’une seconde expérience est primordiale pour conserver une dynamique positive, notamment auprès des populations locales.

Pour renforcer le lien entre communauté et biodiversité

La réalisation d’un projet de renforcement est une opportunité unique de créations d’un lien positif entre communauté locale et biodiversité. En impliquant de façon concrète la population dans la création des enclos d’adaptation, de la surveillance et des suivis scientifiques, il permet à l’ensemble de la communauté concernée par le projet une réappropriation positive de l’espèce. Les communautés détiennent le rôle principal dans le scénario de ce projet qui veut retrouver un avenir radieux pour l‘espèce. D’autre part, l’implication de stagiaires malgaches et le transfert de savoir participe de façon plus globale à la formation d’une future génération impliqué dans la gestion de la biodiversité malgache. Ce projet est un vecteur pédagogique à travers les actions de suivi des individus relâchés. Il est en particulier tout à fait possible d’accueillir de jeunes écoliers sur le terrain.

Ce type de projet a pour objectif de :

(1) Diminuer la surcharge des centres de récupération. Il permettra de maintenir dans de meilleures conditions les individus en attente d’être libérés dans la nature. Il sera par exemple envisageable de promouvoir davantage la reproduction des individus captifs dans des buts de conservation.

(2) Mitiger l’impact des prélèvements dans la nature et limiter le déclin des populations sauvages. Des apports d’individus dans certaines populations isolées permettront d’éviter par exemple des problèmes de dépressions génétiques.

(3) D’améliorer notre connaissance concernant les facteurs de succès ou d’échecs de ce type d’opération. Le retour d’expérience acquis doit permettre d’optimiser d’autres relâchers.

(4) Permettre d’inclure davantage les populations locales, avec un accent tout particulier sur la communauté féminine.